Il était fier de manger sa tartine.
Cette phrase de Magritte—qui nous fournit le prétexte, d’un petit dossier: « Magritte et literature » —dans une lettre à Paul Colinet, 4 juillet 1957: Je vous informe de ma vacuité totale: je suis à court d’idées en peintures, j’ai trouvé tout juste une phrase dans le domaine des arts: « Il était fier de manger sa tartine. » Vous n’aurez pas de Peine à juger que c’est insuffisant.
Et, quelques jours plus tard: Je n’ai rien trouvé de nouveau en peinture ni en littérature (à part : « Il était fier de manger sa tartine »).
La lettre du 4 juillet porte en P.S. : En vacances, au bord de la mer, une jeune dactylographe lisait « La châtelaine du Liban [1] » sans gêner personne. (Si elle lisait « Enquêtes [2] », ce serait strictement idiot.)
1. Pierre Benoit apparaît de nouveau dans une lettre à Colinet 12 août 1957: Comme vous, je pense que Monsalvat est agréable, mais assez béte. Il faut de la bêtise pour avoir l’agrèment d’un confort solide comme celui auquel on pense que William Benoit est arrivé sans deplacement. . . Monsalvat a paru chez Albin Michel en 1957.
2. A cette époque, Magritte s’efforce ce de lire Borgès. Il écrit à Colinet juin 1957 : Lu hier soir et aujourd’hui quelques pages du Borgès que Georgette m’a rapporté. Mon impression première n’a pas changé: c’est un genre desprit que je n’aime pas. Je constate qu’il « brasse » beaucoup d’idées et que le n’en tiens rien. (Il « brasse » comme ces parleurs faciles et indifférents, pas tout à fait indifférents car un pesant ennui en resulte.) Je veux bien qu’il fasse illusion, qu’il jette de la pudre, yeux poudre aux yeux et qu'il semble parler en « honnête homme », mais malgré tout le faux brillant de ses discours, je tiens Borgès pour un con instruît. . .
Ce n’est pas la multitude des idées (aussi ingénieuses ou intelligentes qu’elles puissent être) qui nous importe, je croîs?
Certaines idées qui paraissent « pauvres » me paraissent en revanche nous concerner dramatiquement. Puisqu’au fond, nous, sommes « peu de chose », la pauvreté d’esprit écarte l’imposture que « les beaux esprits » respectent sans « présence d’esprit ».
3 juillet, au même: Je vais donc faire une pénultième tentative, en achevant le Borgès. (De cette manière, j’ai en réserve une ultime tentative de lecture possible.) D’une part, le préjugé est favorable. La suggestion venant de vous, mais je ne suis pas sûr qu’il soit aussi favorable en songeant à l’admiration d’Havrenne pour Borgès. Car le « disparu » [4] ne manquait pas d’admirer certaines choses inadmissibles, à mon sens tout au moins.
Nouvelle letter à Colinet: J’ai continue faute de mieux le Borges, qui me degoûte malgré quelques idées curieuses que j’y trouve, c’est fatal parmi beaucoup d’autres. Les idées curieuses sont (pour moi) :
— La Peur que les cavaliers ont de la ville. (C’est curieux mais ce serait deplorable d’y croire.)
— Q’un certain désordre de l’oeuvre d’art doit être régi par un ordre secret, (C’est curieux, mais ne veut pas dire grand-chose, pas davantage que l’idée qu’un désordre secrete donne du prix à l’ordre apparent d’une oeuvre d’art.)
— Que la déclaration de Mark Twain est « sage »: «ce ne peut être rien de pire qu’un être humain [5] ».
Une idée de Borgès qui me semble vraie et plaisante c’est que si le nombre de livres possibles est limité par les les combinaisons possibles de lettres de l’alphabet, la manière ou l’esprit avec lesquels on peut les lire est illimité. (Là il me semble que l’on « tient » quelque chose.) Voir aussi La Destination, letter 259 et note de Mariën.
3. Voir : René Magritte met l’image au point.
4. Marcel Havrenne est mort le 1er juin 1957. Le mardi suivant l’enterrement, Magrîtte écrit à Colinet hospitalisé: ~ L’enterrement était digne d’une description que, je ne pourrais faire, il faudrait votre faire pour cela. Les éléments étaient de toute 1 er ordre: une soeur de Madame Havrenne qui lui ressemble comme elle-même, avec des voiles noirs, Van Bruaene recueilli, Chevée en Lord Byron, drapeaux belges, église siînistre, pluie dans le cimetière, café et sandwiches chez Havrenne avec genièvre, mandarin et cigarettes de choix.
Le ll juin, Magritte donne à Colinet son avîs sur le recueil de Havrenne: Le Pain noir et les roses, qui venait de paraître chez Houyoux à Bruxelles: C’est très bien, mais il y a quelque chose qui me gêne dans cet apparent bonheur iyâ bien, mais il y a quelque chose qui me continuel et égal de « s’exprimer ». Ce qui s’exprime si bien n’est qu’une « expression», au fond, de certains sentiments quelque peu superflus.
5. In The Man that corrupted Hadleyburg, cité in Enquétes, Paris, Gallimard, 1957, traduction Paul et Sylvia Bénichou, p. 187.
SOURCE: Magritte, René. Écrits Complets, éd. établie et annotée par André Blavier. Paris: Flammarion, 1979. « Il était fier », pages 450-457; extrait: 450, 451-452.
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